Secteur Prépresse –Sièges éditoriaux de la FILPAC CGT

Créer une nouvelle communauté professionnelle, une nouvelle filière de métiers.

Afin de préparer les échéances auxquelles nous allons être confrontés dans les prochains mois (négociations paritaires et d’entreprises, application des accords déjà signés, mais aussi préparation des différents congrès), il est utile de présenter le plus clairement possible l’état de nos réflexions concernant la mise en œuvre pour le secteur du prépresse, des orientations prises lors de la conférence nationale des syndicats de la presse en décembre 2004.

Au cours de l’année écoulée, les actions engagées par la FILPAC CGT pour que soient reconnues conventionnellement de nouvelles qualifications aussi bien techniques que rédactionnelles à l’occasion de l’implantation de nouveaux systèmes éditoriaux de production en presse quotidienne ont permis d’établir le théorème suivant :
Ce n’est ni la présence des ouvriers du Livre en rédaction qui menace les secrétaires de rédaction, ni l'affectation de journalistes à des tâches essentiellement techniques qui menace l’existence des ouvriers du Livre. C’est l’évolution même des systèmes éditoriaux de production qui, à terme, porte en elle les germes de la disparition des catégories professionnelles traditionnelles.

Nos analyses et réflexions collectives nous ont permis de prendre l’initiative et d’agir dans les changements en cours du processus de fabrication et sur les moyens à mettre en œuvre pour à la fois garantir l’emploi de tous, la conservation des acquis sociaux et la qualité éditoriale indispensable à la survie et même au développement des quotidiens. Décidément non, les ouvriers du Livre ne se sont pas engagés dans un vaste mouvement de sauve-qui-peut visant à préserver leurs emplois au détriment des journalistes secrétaires de rédaction. Pas plus qu’ils ne bradent la spécificité et les acquis du Livre, ou encore qu’ils entreprennent une sournoise offensive de colonisation des rédactions.

Les nouveaux systèmes de type Protec, Idos, Prétexte, Hermès, ou autres, dont s’équipent ou vont s’équiper les grandes entreprises de presse ont tous en commun la faculté de permettre à tous les intervenants dans la chaîne de fabrication d’agir en tout temps et en tout lieu sur le produit en cours, remplaçant la chaîne traditionnelle, fondée sur la chronologie des différentes étapes de la production du journal, de l’écriture à l’impression, en passant par la correction, le choix et le traitement des illustrations, la mise en page et l’éditing.

C’est bien cette nouvelle donne qui fait voler en éclat les frontières classiques qui séparaient l’atelier graphique de la rédaction, qui distinguaient le travail de création de conception de celui d’exécution de la maquette. Elle bouleverse l’organisation du travail, les habitudes culturelles. Elle remet en cause la place de chacun dans la chaîne éditoriale et, utilisée par des directions soucieuses de récolter des gains de productivité, elle fait peser une lourde menace sur l’emploi, les conditions sociales.
Le processus continu d’informatisation à l’œuvre dans la presse s’est traduit dans les dernières décennies par l’expulsion massive de salariés de tous les métiers et par une précarisation accrue de ceux qui y travaillent encore, sans avoir pour autant, loin s’en faut, permis d’améliorer la qualité du produit presse, voire une meilleure santé économique des titres.

Faute d’une politique appropriée, l’arrivée des nouveaux systèmes éditoriaux pourrait bien se montrer tout aussi dévastatrice.
Cela ne saurait nous laisser sans réaction.
L’utilisation optimale, du point de vue patronal, des nouveaux systèmes permet en effet de faire remonter la partie édition totalement en amont, à la charge du journaliste rédacteur ; et l’automatisation complète de faire disparaître, sauf à la marge, toute intervention technique, graphique ou d’éditing.

Cela se déroule bien évidemment au détriment de la qualité des articles, de la qualité graphique, de l’originalité de la maquette ; un rédacteur n’est ni un SR ni un metteur en page, ni un correcteur, ni un infographe ou un technicien de l’image. Consacré à la rédaction de titres, de légende, aux choix des illustrations, à la maquette, à la mise en page ou à la correction, le temps de travail du rédacteur sera d’autant réduit pour le reportage, l’enquête et la réflexion.

En conséquence, le choix qui nous est posé est le suivant :
• Soit ouvriers du Livre et journalistes réagissent à la menace que fait peser l’arrivée de ces nouveaux systèmes en prenant chacun l’autre pour cible en tant que cause de tous ses malheurs. Il n’en résultera qu’un affaiblissement généralisé permettant au patronat de pousser la logique jusqu’à son terme, à savoir , grâce à une intensification de l’automatisation et de la standardisation, la disparition quasi-totale de professionnels qualifiés dans ce qu’il est convenu désormais d’appeler non plus le secrétariat de rédaction ou le prépresse mais bien le pôle édition d’un journal.
• Soit, tous ensemble, ouvriers du Livre et journalistes, nous faisons en sorte de mettre à l’ordre du jour la création d’une nouvelle filière de métiers autour de ce pôle d’édition au sein duquel il redevient possible de faire en sorte que les possibilités offertes par les nouveaux systèmes éditoriaux soient mises au service de la qualité du produit, de l’enrichissement professionnel des salariés en terme d’amélioration des compétences et de variété des tâches, et donc, en définitive, d’une amélioration du service rendu au lecteur, contribuant ainsi au développement des quotidiens.

Le savoir-faire graphique des uns et le savoir-faire rédactionnel des autres se trouvent désormais indissolublement imbriqués et tout aussi nécessaires l’un que l’autre à la réalisation d’un produit de qualité. Dès lors, il s’agit bien de créer ensemble une nouvelle communauté professionnelle en obtenant :
o au plan national la reconnaissance conventionnelle d’une nouvelle filière de métier d'éditeurs dotée de règles sociales de haut niveau (convention collective des journalistes révisée et améliorée) ;
o les formations nécessaires à l’acquisition par chacun des savoirs qui lui manquent (graphiques pour les uns, rédactionnels pour les autres) ;

Pour nous, tous les salariés concourant aujourd’hui à la production des pages, du secrétariat de rédaction ou d’édition, au technicien d’édition ou de mise en page, en passant par la correction, l’infographie, la photogravure, doivent pouvoir partager la même responsabilité éditoriale, quelle que soit leur origine, ouvriers, employés, cadres ou journalistes.

Sur cette nouvelle base pourra se déployer complètement la bataille de la CGT contre la précarité et son extension dans notre secteur. L’objectif consiste à conquérir des règles sociales nouvelles capables de réduire l’insécurité sociale et la précarité, de renforcer la formation et les compétences, d’avoir une véritable gestion prévisionnelle de l’emploi à l’échelon de toute une branche d’activité. Ces règles sociales nouvelles s’apparentent, dans une certaine mesure, aux garanties sociales arrachées par des décennies de luttes au patronat de la presse quotidienne.

Les négociations en cours en presse quotidienne régionale n’ont pour l’instant abouti qu'à une déclaration commune et un document sur la formation professionnelle. Elles reprendront sur l’établissement de grilles de qualification pour l’ensemble des filières professionnelles. La déclaration commune relative à la modernisation sociale des entreprises de PQR stipule que les qualifications et compétences identifiées soient l’objet de création de nouveaux espaces professionnels dans les entreprises. Les filières professionnelles définies dans les entreprises en fonction des accords nationaux tiendront compte du décloisonnement des tâches de façon spécifique dans le prépresse pour établir ces nouveaux espaces professionnels.

Cette déclaration commune, par delà ses insuffisances, doit être lue et interprétée comme un signal de départ offensif : les équipes syndicales du prépresse en PQR doivent se saisir de ce document pour imposer aux directions des titres concernés l’ouverture immédiate de négociations sur ces nouveaux espaces professionnels et les qualifications qui en découlent. Dans le même temps, une grille de qualification prépresse, prenant véritablement en compte ces nouveaux espaces professionnels doit désormais faire l’objet de négociations afin de conforter leur existence et leur développement dans les entreprises et aboutir à une grille de référence nationale à toute la PQR.

Nous devons donc utiliser la période qui s’ouvre jusqu’à la mise en œuvre des premiers départs pour exiger dans chaque entreprise l’ouverture de négociations sur les nouvelles qualifications conformément aux orientations définies lors de la conférence nationale de décembre 2004.

Concernant la presse quotidienne nationale, de nouvelles qualifications professionnelles effectuant à la fois des tâches rédactionnelles et des tâches techniques sont désormais mises en œuvre dans plusieurs entreprises et non des moindre : Le Figaro, Le Monde.

Au-delà de la spécificité des appellations propres à chaque titre, nous constatons que l’application des accords PQN conduit les entreprises à structurer pour la première fois dans la rédaction un pôle édition rénové au sein duquel, encadré par une même convention collective, celle des journalistes, les fonctions des anciens SR et des anciens metteurs en page sont fusionnées, celles des techniciens de l’image sont reconnues ainsi que le correcteur lecteur-réviseur.

Ce qui démontre que l’objectif syndical que nous nous sommes fixé, bien qu’encore imparfaitement atteint, est néanmoins à notre portée.

A ce titre, nos structures syndicales doivent devenir l’outil collectif au service de ces objectifs de haut niveau et de longue haleine. Il ne s’agit pas de préjuger des orientations du congrès prochain de la Filpac, mais d’énoncer des pistes de réflexion qui découlent de notre pratique actuelle : ainsi de l’adhésion à la convention collective des journalistes, de la structuration au sein de la Fédé d’un secteur « sièges éditoriaux de la presse » chargé de coordonner l’activité syndicale de tous les salariés du pôle éditeur de presse, quelle que soit leur convention collective (journalistes, ouvriers, employés, cadres, techniciens).

La Filpac de ce point de vue garde toute sa force propulsive. Elle propose, en s’appuyant sur ses forces traditionnelles, un élargissement de son champ d’intervention au service d’un véritable redéploiement de la CGT dans le secteur de l’information et de la communication.

Comité général de la Filpac-CGT des 24 et 25 novembre 2005