JOURNEE NATIONALE D'ACTION PRESSE QUOTIDIENNE
INTERVENTION PLACE DES ETATS-UNIS
JEUDI 16 DECEMBRE 2004 Plus de 600 personnes présentes

Michel Muller - Secrétaire général Filpac-CGT

Ce rassemblement, devant un des symboles patronal de la presse quotidienne, est l'expression la plus visible d'une journée d'action décidée tous ensemble il y a quelques jours à peine. La plus visible, car dans l'ensemble des entreprises de presse quotidienne de notre pays, les salariés ont réagi à notre appel en organisant débats, discussions, arrêts de travail parfois jusqu'à la non-parution.

Dans toutes les formes de presse, à l'instar de ce qui s'est passé le 29 juin dernier, s'exprime une volonté d'imposer au patronat une autre politique économique et sociale. Dans toutes les entreprises et dans toutes les catégories de salariés, monte l'exigence d'une intervention des Pouvoirs publics qui doit être autre chose que la définition d'une ligne budgétaire pour financer la liquidation des emplois et mis au rebut de milliers de travailleurs.

La présence parmi nous des salariés de l'Imprimerie nationale, dont l'existence est menacée et où l'Etat patron veut supprimer des centaines d'emplois sans mesures sociales adéquates, est plus que symbolique: dans un endroit, le gouvernement Raffarin est prêt à mettre des dizaines de millions d'euros sur la table pour aider le patronat de la presse à renvoyer des travailleurs ; à l'Imprimerie Nationale où il est l'employeur, il veut imposer aux travailleurs qu'il veut licencier, une situation précaire qui les pénalisera jusqu'à la fin de leurs jours.

Si ces luttes ont une nature quelque peu différente, elles sont une réponse à une seule et même politique : MEDEF et gouvernement veulent institutionnaliser la précarité individuelle comme l'organisation ordinaire du travail, et dès lors tous ceux qui relèvent de statuts et d'accords collectifs sont des mauvais exemples à éliminer.

Les raisons invoquées par le patronat et les Pouvoirs publics font référence aux difficultés économiques et aux crises qui frappent la presse et l'imprimerie.

Rappelons d'emblée que ces deux secteurs d'activités, s'ils sont confrontés à des restructurations parfois lourdes, ne sont pas en voie de disparition en tant que branches. Même si la politique patronale les a fortement ébranlés, le support écrit papier reste le vecteur essentiel de l'information et de la culture. Il faut tordre le cou à ces affirmations mensongères et orientées qui font croire qu'il y a un rejet de la lecture. Ces affirmations sont démenties par les chiffres de la lecture des livres dans notre pays, du développement de l'édition et, par l'absurde, de l'implantation des quotidiens gratuits.

S'il y a moins de lecteurs de la presse quotidienne, ce n'est pas parce que la population se détourne de la lecture mais c'est parce qu'elle ne retrouve plus son compte dans le contenu, voilà la raison fondamentale du recul de la diffusion de la presse quotidienne.

A qui ferait-on croire que les groupes financiers qui investissent en masse dans la presse quotidienne le ferait par esprit de sacrifice ; depuis quand les Dassault, Lagardère et Rotschild ont des vocations de dames patronnesses pour entreprises en difficultés ? Non, s'ils investissent c'est parce qu'ils veulent faire de la presse une vaste entreprise de laquelle ils retireront, à court terme, des profits aussi bien financiers que politiques. Les Prouvost, Béghin et autres maîtres de forges d'avant-guerre ne contrôlaient la presse par philantropie… leurs indignes successeurs d'aujourd'hui reviennent avec les mêmes desseins.

C'est de là que vient le danger réel qui pèse sur la presse : le contrôle de la circulation des idées à des fins de réduction du pluralisme, pour imposer une vision unilatérale de l'information, digne de la logique de la pensée unique. Alors que notre société est traversée par des interrogations, des doutes, des recherches et que les citoyens ont besoin d'un débat d'idées fort et structuré. Voilà le mal profond de la presse quotidienne écrite : elle ne répond pas à ce qu'en attend la population.

La réponse apportée par les organisations patronales et les directions d'entreprise se résume à une politique de concentration et d'élimination des emplois. Longtemps, il utilisait l'argument des impacts des nouvelles technologies mais à présent il argue des difficultés économiques. Ainsi, si il y a encore quelques temps cela ne concernait que les ouvriers du livre, aujourd'hui c'est l'ensemble des salariés qui est poussé vers la sortie.

C'est pourquoi l'adoption d'un nouveau plan de liquidation dans une séance nocturne d'une Assemblée Nationale famélique dans le cadre du budget de la Nation, soulève notre désapprobation. En effet, cette purge est digne de la pharmacopée des médecins de Molière : saignons le malade pour lui faire retrouver la santé. Si la Faculté a heureusement corrigé cette hérésie, le patronat continue de vouloir l'appliquer sur le plan social.

Mais nous avons déjà donné ! Des milliers de suppressions d'emplois sont intervenues depuis deux décennies… A-t-on vu une entreprise de presse gagner un seul lecteur à la suite de ces purges… Non, toute concentration de titres s'est soldée par un recul du lectorat, tout plan d'élimination des travailleurs s'est soldé par un appauvrissement sur le fond et sur la forme des quotidiens.

Le moment est venu d'inverser cette tendance avant qu'il ne soit trop tard, avant que la presse quotidienne de ce pays ne soit réduite à une portion congrue, c'est-à-dire à quelques titres qui ne pourraient trouver leur salut que dans leur intégration dans un méga-groupe de la communication, avec un contenu uniformisé donc appauvri, une presse réduite à être le vecteur des services utiles comme certains quotidiens régionaux sont en train de le faire.

Non, la FILPAC ne se résoud pas à assister à l'émergence d'une presse quotidienne gratuite, réduite à traiter une information tronquée et utilitaire et à la marginalisation de titres payants qui occuperaient le terrain laissé libre par Métro ou 20 Minutes… Oui, nous sommes pour une relance de la presse quotidienne, avec des journaux plus riches, au contenu plus diversifié et plus large, animateur du débat d'idée tant sur le plan national que régional ou local…

L'évolution des technologies de la communication appliquée à l'écrit papier rend cet objectif possible. Mais cela nécessite une autre politique sociale qui permet aux travailleurs d'intégrer des qualifications nouvelles et de combattre la précarité qui s'étend aujourd'hui tant chez les journalistes que dans les autres catégories, dans lesquelles je n'oublie pas la distribution où agissent des entreprises aux pratiques d'un autre âge.

L'accord signé dans la PQN ouvre, pour la première fois, d'autres perspectives que le déclin inexorable ; il prévoit une refondation sociale dans laquelle il y a certes des évolutions qui bouleversent l'existant et que nous ne pouvons ignorer, mais il démontre qu'un avenir existe pour l'ensemble des catégories dans une presse quotidienne modernisée et adaptée à son temps.

La PQD, lundi dernier, a ouvert une perspective de ce type. Reste encore à l'imposer à la PQR qui, s'il elle a du reculer, sous la pression d'aujourd'hui, par rapport à ces exigences d'hier, ne sera crédible que s'il elle pose sa signature sur un texte du même esprit que celui de la PQN.

Car depuis quelque temps maintenant, depuis le 29 juin dernier exactement, un autre climat marque le secteur de la presse quotidienne.

D'abord notre confédération CGT s'est emparée du problème. Je peux vous annoncer aujourd'hui, que la CGT va lancer, dans les semaines à venir, une grande campagne sur la défense du pluralisme dans la presse et les moyens d'expression. Cette campagne, portée par la NVO et par l'ensemble des organisations de la CGT, est destinée à sensibiliser l'ensemble de la population sur la nécessité de l'instauration d'une nouvelle politique de la presse quotidienne avec des interventions publiques renouvelées. Si les législations et mesures prises en 1944, date fondatrice de la presse d'après-guerre, n'ont plus leur efficacité, il faut en mettre en place des nouvelles marquées par les mêmes principes et valeurs démocratiques.

Mais cela ne peut exonérer le patronat de la presse : c'est pourquoi une grande part de cette bataille pèsera sur les salariés concernés directement : journalistes, cadres, techniciens, employés, ouvriers, des entreprises de presse doivent se mobiliser et avant tout sur leurs propres revendications. Car bien évidemment, l'avenir de nos emplois, de nos statuts, de nos salaires, passe par des journaux qui se développent, qui sont plus riches et plus divers.

La Conférence de la presse que notre Fédération a organisée jeudi 9 et vendredi 10 décembre 2004, a jeté les bases d'une nouvelle politique revendicative et un nouvel enjeu syndical pour l'avenir.

En effet, au-delà des formes de presse différentes, au-delà des lieu de négociations multiples au niveau des conventions collectives, notre assemblée a retenu trois textes dans lesquels sont développées des revendications qui sont une trame unitaire pour notre activité syndicale dans toutes les entreprises de la presse quotidienne.

Ces textes font un état des lieux des transformations intervenues et examinent en profondeur la réalité des trois grands domaines dans lesquels la CGT doit avoir une pratique revendicative à destination de l'ensemble des salariés concernés : les secteurs éditoriaux, l'impression et la distribution.

Sans rentrer dans les détails de textes qui seront soumis au débat dans l'ensemble des entreprises de presse dès début janvier, nous exigeons la prise en compte de nouvelles qualifications avec la formation nécessaire, la reconnaissance des conventions collectives des formes de presse, le développement d'un emploi stable et reconnu dans des grilles adaptées

Ces exigences revendicatives doivent permettre de combattre la précarité dans toutes les catégories et ainsi permettre également de revaloriser le travail de recherche journalistique en le débarrassant des contingences techniques que le patronat prétend vouloir lui imposer, d'assurer une maintenance et un entretien dans des entreprises en combattant la politique actuelle d'externalisation, de filialisation, de sous-traitance…

Et c'est pour répondre à ces revendications que des plans réellement sociaux seront acceptables pour nous : aider à la formation, répondre à des difficultés d'adaptation à des nouvelles formes de travail ou de qualifications, sont des mesures qui auraient dès lors une réelle cohérence et ne seraient pas, comme cela est le cas aujourd'hui, des moyens exclusivement destinés à jeter dehors des travailleurs avec des garanties les plus aléatoires quant à leur avenir à moyen terme.

Nous mesurons l'ambition de ces objectifs : oui, nous avons besoin d'une pression forte, la plus forte possible, encore plus que ce que nous pouvons faire aujourd'hui. Cela passe par une unité au sein de notre Fédération et de la CGT.

Si nous considérons évidemment que les spécificités doivent pouvoir s'exprimer au sein d'une organisation syndicale, nous constatons bien à présent que les clivages catégoriels ou corporatistes sont des facteurs affaiblissant pour les travailleurs. Cela est d'autant plus vrai que les frontières anciennes entre catégories, par exemple entre une rédaction et la technique se sont totalement estompées avec de nouvelles technologies qui conduisent à une autre organisation du travail. Croire ou pire, faire croire, que des murs peuvent s'ériger pour séparer les catégories est aussi illusoire que la ligne Maginot ou d'autres ouvrages qui n'ont pas résisté à l'évolution de l'histoire.

Pour notre domaine, cela nous conduit à mettre en place un vaste plan de syndicalisation à destination de l'ensemble des salariés opérant dans et autour des entreprises de presse quotidienne. C'est pourquoi nous lançons ici, place des Etats-Unis, un appel qui veut rompre avec un passé où le champ de notre syndicalisation se limitait à des statuts biens définis.

Que chaque syndicat, dans son entreprise, aille au débat avec toutes les catégories de salariés pour expliquer, discuter, disputer s'il le faut, le contenu de nos textes adoptés à la Conférence. Un matériel vous sera envoyé dès début janvier pour soutenir ces discussions. Des réunions préparatoires de militants auront lieu pour affuter nos arguments et affiner notre démarche.

Aucun salarié, qu'il soit de la rédaction, de la publicité, de l'administration, de la technique, des filiales de presse gratuite ou de distribution, ne doit être ignorant de notre démarche revendicative. Syndiquez-les, renforcez vos syndicats au-delà du champ que vous aviez l'habitude de couvrir…

Car si nous regardons de près ce qui se passe dans nos entreprises, nous voyons bien que l'apparence est trompeuse : on veut nous faire croire que nous sommes en déclin. Cela est faux : depuis des dizaines d'années, des salariés sont embauchés, dans les rédactions, dans les services administratifs, dans les filiales, dans la publicité. Mais ils le sont la plupart du temps en dehors de nos conventions et règles sociales : c'est cela qu'il faut changer…

C'est pourquoi, mes camarades, la journée d'aujourd'hui n'est pas une simple manifestation d'un mécontentement, mais le départ d'une nouvelle ère de mobilisation, de luttes sur des revendications conquérantes, regroupant l'ensemble du salariat.

Nous voulons sortir de cet engrenage infernal qui conduisait notre génération de travailleurs et de militants à écrire la fin de l'histoire et à être les fossiles d'une ère révolue : c'est notre volonté, et même notre devoir pour les jeunes salariés des générations montantes. Par des actions de ce type, nous en sommes dignes… Continuons ce combat, tous ensemble et à bientôt…

Paris, le 16 décembre 2004