Allocution de Marc Peyrade au meeting de Bordeaux
(
devant les locaux de Sud Ouest) le 8 avril 2005

Je suis chargé, au nom du Comité intersyndical du Livre parisien, de vous exprimer le soutien des salariés de la presse quotidienne parisienne et de leurs syndicats CGT à la lutte que vous avez engagée.

L’indignation suscitée à Paris par l’attitude et les prises de position de la direction de Sud-Ouest est énorme. Elle justifie à elle seule la présence, à Bordeaux pour ce rassemblement de lutte, de délégations de toutes les entreprises de la presse quotidienne nationale.

Mais, au-delà de la condamnation d’un document honteux, exprimant tout haut ce que bon nombre de nos patrons pensent tout bas, notre présence doit également être interprétée comme l’affirmation de la volonté de nos organisations syndicales de faire vivre, aussi à Paris qu’en régions, les orientations élaborées lors de la conférence nationale de la presse en matière de reconnaissance de nouvelles qualifications professionnelles et de statuts sociaux.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes convaincus que la presse est devenue un ensemble (PQN, PQR, PQD, presse magazine) dont l’unité s’impose à nous, tant par la logique capitalistique des concentrations que par l’interdépendance complète de nos différents métiers : rédaction, pré-presse, impression, distribution.

Mieux, face à des agressions patronales inédites, cette unité s’impose d’autant plus par le besoin que nous ressentons tous d’une solidarité élargie entre tous les salariés de la presse.

Car nous savons bien que toute brèche ouverte par le patronat dans un titre, dans un secteur, pour mettre à bas les accords et les conventions collectives, affaiblit l’ensemble de la profession et des corporations.

A Paris, comme ici, la confrontation est rude et les négociations engagées avec le Syndicat de la presse parisienne sur la question de l’éditeur-réalisateur se heurtent encore à des résistances majeures.

Partout, depuis des décennies les éditeurs ont multiplié les plans sociaux, véritables attaques orchestrées contre notre présence, en tant que force syndicale organisée.

La volonté patronale affichée, c’est d’opérer une rupture définitive entre la culture syndicale et professionnelle du Livre et les nouvelles générations de salariés.

Mais ni l’accélération des restructurations ni leurs mesures empiriques pour abaisser les coûts de production n’ont vraiment contribué au développement des titres. Bien au contraire.

Aujourd’hui le lectorat n’est plus au rendez-vous du kiosque à journaux et tous les titres de presse sont fragilisés par le surgissement d’une presse dite gratuite, qui pratique un dumping social des plus désastreux.

La lutte que nous avons engagée au plan national pour que soit reconnue le repositionnement professionnel et syndical des ouvriers du Livre dans les différentes phase de modernisation prend évidemment une dimension nouvelle, dans ce contexte ou se joue à court terme l’existence de certains titres, des emplois et des conventions collectives régissant toute la profession.

Face à cette catastrophe annoncée notre réponse syndicale s’inscrit dans l’exigence d’une meilleure utilisation des évolutions technologiques basée sur l’amélioration de la qualité des journaux, tout en ayant l’ambition, au plan syndical, pourquoi le taire, de fédérer l’ensemble des salariés de la presse autour de nouvelles perspectives de lutte pour défendre leurs emplois et leur devenir.

Et cette mobilisation prend corps et grandit partout en France.

Le patronat ne s’y trompe pas.

Certains, tentent aujourd’hui de caricaturer nos positions afin d’opposer les salariés entre eux pour leur plus grand bénéfice.

Ils veulent faire croire que le Livre CGT souhaiterait rayer de la production le journaliste secrétaire de rédaction.

C’est totalement faux.

Ce n’est pas notre démarche syndicale qui menace les secrétaires de rédaction bien au contraire.

Les nouveaux systèmes éditoriaux induisent l’apparition d’un nouveau type de professionnel effectuant à la fois des tâches éditoriales et des tâches techniques. Le savoir-faire graphique des uns et le savoir-faire rédactionnel des autres, indissolublement imbriqués, est tout aussi nécessaires à la fabrication d’un produit de qualité.

Bien sûr, cette nouvelle donne fait voler en éclat les vieilles frontières qui séparaient l’atelier graphique du secrétariat de rédaction. Elle bouleverse l’organisation du travail, les habitudes culturelles, et remet en cause la place de chacun dans la chaîne éditoriale.

Dans de nombreux titres européens de nouvelle qualifications professionnelles aussi bien techniques que rédactionnelles ont émergé dans la presse écrite. L’aspect des journaux a changé. Des projets éditoriaux, originaux, ambitieux, capables de mobiliser et de fidéliser un lectorat sont apparus.

Et nous, en France, nous devrions rester immobiles. Accepter sans broncher les stratégies patronales qui sont déjà en échec du point de vue de la santé de la presse et leurs lourdes menaces sur l’emploi, les conditions sociales de tous les salariés pour, au final, amoindrir la qualité du produit.

Eh bien non. Ce n’est pas le choix qu’à fait la Filpac.

Car méconnaître la réalité de ce qui se met en place, rester les bras ballant en attendant l’orage et croire que l’on va pouvoir passer entre les gouttes, c’est s’illusionner gravement sur l’avenir.

Le choix que nous avons fait, ce que nos propositions, sur le fond portent, c’est de permettre aux ouvriers et aux journalistes de réagir ensemble à toutes ces menaces.

Non pas en prenant chacun l’autre pour cible et comme la cause de tous ses malheurs. Cela ne conduirait qu’à l’affaiblissement généralisé permettant au patronat de pousser la logique d’élimination jusqu’à son terme : à savoir la disparition quasi-totale de professionnels qualifiés dans ce qu’il est convenu désormais d’appeler « l’édition », qu’ils soient journalistes SR ou ouvriers du Livre.

Pour vous, mes camarades de Sud-Ouest, comme pour nous tous, ouvriers du Livre de toute la presse française, mais aussi pour tous les salariés – journalistes compris - de ce secteur crucial pour la démocratie, le moment est venu de choisir notre avenir commun :

soit, la guerre fratricide entre catégories de salariés, entre confrères, comme tentent de nous l’imposer nos patrons, pour obtenir un musellement de toute véritable liberté d’informer, c’est-à-dire pour posséder une presse produite de façon automatisée qui ne servira plus que les intérêts de la marchandise ;

soit, comme le Livre CGT le propose, un sursaut collectif, solidaire, et pourquoi pas paritaire, pour refonder une presse de qualité, au service de l’information citoyenne, dans le respect intégral des statuts sociaux de tous les salariés qui assument cette mission démocratique.

Ensemble nous pouvons faire en sorte :

- que le processus de modernisation de la presse quotidienne soit maîtrisé, que les formations nécessaires à l’acquisition par chacun des savoirs qui lui manquent (graphiques pour les uns, journalistiques pour les autres) soient mises en œuvre.

Nous pouvons faire en sorte que de nouveaux métiers soit reconnus et dotés de règles sociales de haut niveau (et de ce point de vue les acquis et le savoir faire syndical du Livre CGT pour la défense des intérêts des salariés ne sont pas quantité négligeable).

Nous pouvons ensemble combattre efficacement la précarisation massive des salariés de la profession et faire en sorte que les possibilités offertes par les nouveaux systèmes éditoriaux soient mises au service de la qualité du produit, de l’enrichissement professionnel des salariés en terme d’amélioration des compétences et de variété des tâches, et donc en définitive d’une amélioration du service rendu au lecteur.

Car enfin ! n’en déplaise au naufrageurs de tous poils, nous pouvons encore, tous ensemble, empêcher que la modernisation n’ait pour seul effet que de permettre aux Dassault, Rothschild, Lagardère et autres industriels à l’œuvre dans la Presse, d’accélérer la casse sociale, de détruire l’emploi qualifié au seul profit de l’emploi précaire, et de réduire les coûts « à tout prix » (y compris celui de la qualité et de l’intérêt des journaux).